Trois cœurs ambivalents
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Il me semble que tout discours sur la fin de vie qui ne part pas de cette réalité très coutumière, qui est la présence dans une chambre de trois cœurs ambivalents, voire clivés – celui du mourant, celui de son proche, celui du soignant –, court à tout moment le risque d’une légèreté, d’une facilité. Car il est facile de se dire en chaire, ou sur un plateau de télévision, un studio de radio ou dans son salon évidemment pour, ou évidemment contre la légalisation de l’euthanasie. Mais ces options me semblent très généralement ne pas rendre hommage à la réalité que je disais plus haut, à ces ambivalences du cœur humain devant la mort.
Car comme le disait le poète Philippe Jaccottet :
Il y a ici une extraordinaire description « phénoménologique », si l’on ose ce grand mot, de ce que peut être la douleur : une impitoyable réduction de champ des possibles.
Souffrir, c’est ne plus pouvoir jouer – et il faut prendre le mot jeu au sens des bricoleurs : « il y a du jeu », signifie qu’il y a un espace, un espace pour le possible.
Mais comme expérience de l’inoubliabilité du corps, expérience de l’insupportable – souffrir, c’est toujours souffrir trop – la douleur semble d’abord expérience de l’épuisement du possible – qui rend légitime la demande de mort.
Le premier devoir des soignants n’est-il pas de lutter contre ces impossibles, de manière à réveiller les possibles qui demeurent ?
Car il faut partir de ce fait peu contestable, qu’il est rarissime que même le corps rompu, au bord de l’infini, le malade dont la douleur est traitée et la souffrance considérée continue de demander la mort…
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https://stm.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2024-10-page-807
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