Ronsard face à la vieillesse et à la mort : de l’épicurisme à l’auto-compassion

Article indépendant

GIL, R.

Pierre de Ronsard, qualifié au XVIe siècle de « prince des poètes », rassembla autour de lui la Pléiade. Comblé de faveurs par Henri II et Charles IX, pétri d’une immense culture classique, il écrivit des poèmes d’une langue savante et mélodieuse, avec une versification rigoureuse. Il fut surtout considéré comme un épicurien, célébrant dans ses poèmes ses amours et ses déceptions amoureuses, les plaisirs de la bonne chère et du bon vin, le souci de jouir de l’instant présent. Il fut en effet habité aussi par la perspective du temps qui passe, par la fuite de la jeunesse, par la perspective de la vieillesse, des maladies et par la conscience de la finitude. À 31 ans, il rassemble sa vision de la vieillesse et de la mort dans un hymne aux accents graves orné d’images mythologiques et soutenu par sa foi chrétienne. Il y exprime moins une crainte de la vieillesse et de la mort qu’une crainte de la mort sociale, de l’incapacité de se mouvoir, des souffrances de fin de vie. Plus de trente plus tard, dans sa soixante et unième année, son état de santé le confine dans ses deux prieurés et ses épreuves de fin de vie durent environ deux mois. Ronsard fut très entouré notamment par quelques amis et par les religieux de ses prieurés. Claude Binet, son disciple, consigna ses observations sur les paroles et le comportement du poète dans une biographie. Par ailleurs, Ronsard composa des poèmes qu’il dicta jusqu’aux derniers instants de sa vie. Les témoignages ainsi recueillis ont conduit à analyser comment le poète, considéré comme épicurien, avait vécu sa fin de vie. Cette étude permet de montrer que Ronsard abandonna son épicurisme tandis que ses paroles et son comportement relèvent d’une auto-compassion avec ses trois composantes : la gentillesse à l’égard de soi, le sentiment d’appartenance à une humanité commune, exposée à la maladie, à la vieillesse, à la mort, une pleine conscience excluant l’hyperidentification avec l’expérience douloureuse et ses émotions négatives. L’auto-compassion est ainsi distinguée de l’auto-apitoiement et de l’estime de soi longtemps considérée comme un facteur déterminant de la santé mentale. La fin de vie de Ronsard est ainsi l’occasion d’apprécier de manière nouvelle l’œuvre de cet immense poète. Elle permet aussi de mettre en parallèle une œuvre littéraire et l’histoire de vie dont elle témoigne. Elle permet enfin de prêter attention aux manifestations cliniques de l’auto-compassion et à prendre la mesure de son importance comme stratégie adaptative à l’égard des épreuves de l’existence et notamment, en situation de soins palliatifs, dans l’accompagnement de fin de vie.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S162748302200188X

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