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De la douleur vertu, à la douleur inutile, l'émergence tumultueuse du droit à ne pas souffrir
Extrait de livre
Edité par LEH Edition - 2024
L'article intitulé « De la douleur vertu à la douleur inutile, l’émergence tumultueuse du droit à ne pas souffrir » de Giovanna Marsico et Franck Chauvin explore l'évolution historique et éthique de la gestion de la douleur dans le cadre des pratiques médicales, en mettant l'accent sur les soins palliatifs et les réponses législatives à ces enjeux en France.
I. La douleur et les pratiques médicales
Les auteurs retracent d'abord les perspectives historiques sur la douleur, en commençant par l'approche d'Hippocrate, qui considérait la douleur comme un outil de diagnostic permettant de signaler une maladie. La douleur devait être respectée et traitée en s'attaquant à sa cause sous-jacente. Différentes conceptions philosophiques et religieuses ont ensuite façonné les attitudes envers la douleur. Le stoïcisme, représenté par Sénèque, minimisait son importance, tandis que le Christianisme valorisait la souffrance comme une vertu morale.
Au XIXe siècle, malgré les progrès de l'anesthésie et des traitements antidouleur, la réticence médicale et sociétale à traiter la douleur, notamment chez les femmes en travail ou les patients en fin de vie, persistait. Les analgésiques tels que la morphine étaient disponibles, mais souvent réservés aux cas extrêmes, en raison de l'influence des croyances religieuses qui associaient la souffrance à la vertu morale.
Au milieu du XXe siècle, des figures médicales comme René Leriche et plus tard Léon Schwartzenberg ont remis en question ces vues. Ils prônaient la priorité à donner au soulagement de la douleur. Schwartzenberg, en particulier, militait pour la transparence auprès des patients en fin de vie et plaidait pour la reconnaissance de l’aide à mourir ainsi que pour une meilleure gestion de la douleur.
II. Réponse législative à l'évolution clinique
Le parcours législatif en France sur la gestion de la douleur a véritablement commencé avec la loi du 4 février 1995, qui reconnaît la prise en charge de la douleur dans les établissements de santé. Cette loi imposait aux établissements de mettre en œuvre des moyens pour soulager la douleur des patients accueillis. C'était une réponse aux premières demandes sociales et médicales pour mieux gérer la douleur dans le système de santé.
En 1999, c’est la loi Neuwirth qui introduit le droit pour chaque personne d’accéder aux soins palliatifs.
Un autre tournant majeur est venu avec la loi "Kouchner" de 2002, qui a codifié le droit au soulagement de la douleur comme un droit fondamental des patients. Cette loi a également imposé aux professionnels de santé de prévenir, évaluer et traiter la douleur, tout en introduisant le concept de consentement éclairé, renforçant ainsi l'autonomie des patients dans la prise de décision médicale.
Les affaires judiciaires médiatiques, telles que le cas de Vincent Humbert, ont ravivé le débat sur les décisions en fin de vie et la gestion de la douleur, conduisant à la promulgation de la loi Leonetti en 2005. Cette loi introduisait l'arrêt des traitements au titre de l’obstination déraisonnable, y compris l'hydratation et la nutrition artificielles, lorsqu'ils étaient jugés inutiles. Toutefois, c'est la loi Claeys-Leonetti de 2016 qui a introduit la sédation profonde et continue jusqu'au décès, pour les patients en fin de vie présentant des souffrances réfractaires.
III. L’avenir : Une stratégie décennale pour les soins d’accompagnement
Face aux débats sociaux persistants et aux limites des législations existantes, la France a entrepris de réévaluer son approche des soins de fin de vie. Les auteurs décrivent le développement récent d'une stratégie nationale décennale visant à améliorer les soins d'accompagnement, à élargir l'accès aux soins palliatifs, et à garantir le droit au soulagement de la douleur dès les premiers stades des maladies chroniques.
Cette stratégie met l'accent sur l'intégration de la gestion de la douleur dans les soins médicaux de routine, non seulement à la phase terminale, mais tout au long de la progression des maladies chroniques. L'objectif est d'améliorer la qualité de vie des patients et de leurs familles, en se concentrant sur des soins globaux incluant un soutien physique, émotionnel et nutritionnel.
Conclusion
L'article se termine en soulignant les défis persistants en matière de gestion de la douleur et de soins de fin de vie. Malgré des avancées législatives et médicales significatives, la perception sociale et médicale de la douleur comme quelque chose à endurer persiste encore dans certains milieux. Les auteurs appellent à une évolution continue des pratiques médicales et des politiques pour que la gestion de la douleur devienne une partie intégrante des soins aux patients à tous les stades de la maladie. L'objectif ultime est d'aligner la pratique médicale avec le droit fondamental des individus à ne pas souffrir inutilement.
[Résumé auteur]
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