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Pierre Morlon et François Sigaut (Quae-Educagri, 2008) : La troublante histoire de la jachère. Pratiques des cultivateurs, concepts de lettrés et enjeux sociaux
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Edité par CCSD ; EDP Sciences -
International audience. Le livre écrit par Pierre Morlon et François Sigaut est un ouvrage salutaire. Il était temps en effet de clarifier le sens-les sens-et l'usage-les usages-du mot jachère. En à peine une centaine de pages (le reste de l'ouvrage étant consacré à la présentation des principaux textes fondateurs décrivant la jachère) les auteurs expliquent avec une très grande clarté comment, à partir de son sens originel, ce mot en est venu à désigner tant de choses différentes, entraînant la confusion la plus totale. Les auteurs ouvrent leur démonstration en rappelant que la « vraie » jachère était une pratique de l'ancienne agriculture européenne qui consistait à préparer le champs destiné à recevoir la céréale principale par une succession de labours (souvent trois, parfois davantage) ayant pour fonctions d'une part de réduire le stock de semences de mauvaises herbes dans le sol et d'autre part de préparer le lit de semence. Ils précisent aussi que cette séquence technique était désignée par des mots distincts dans les différentes régions françaises (guéret, sombre, versaine, somar, estivado…) le vocable de jachère n'étant guère usité qu'en Ile de France, ce qui n'est pas sans conséquence sur la confusion qui est née plus tard dans l'usage du terme. Par ailleurs, une clarification étymologique salutaire permet de dissiper un premier malentendu : jachère ne signifiait aucunement « repos », « se reposer » comme on l'a cru un temps, mais au contraire « travail », « travailler » ; le fait que la jachère était l'occasion d'épandre et d'enfouir les fumiers permettant, il est vrai, de reconstituer la fertilité d'un milieu « fatigué ». Aujourd'hui, en effet, qui sait vraiment ce qu'était la jachère « vraie » ? Les agronomes eux-mêmes n'emploient-ils pas ce mot pour désigner une période pendant laquelle la terre « se repose » ou même toute période (et espace associé), quelle qu'en soit la durée, séparant deux cycles de culture et pendant laquelle la terre ne porte aucune culture ? Pierre Morlon et François Sigaut analysent à la loupe ce long et impressionnant glissement sémantique, qui s'initie au XVIIIè siècle et même avant (la confusion apparaît au XVIè siècle !) mais ne triomphe qu'au milieu du XXè siècle avec la disparition de la pratique de la jachère « vraie ».