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Comportements inappropriés des soignants en salle de naissance : une étude qualitative comparative — résultats préliminaires
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International audience. Le concept de violences obstétricales est né en Amérique latine au début des années 2000 puis s’est étendu dans le monde anglo-saxon avec la création d’organisations non gouvernementales. Leurs objectifs était de dénoncer et de lutter contre ces violences, de promouvoir les pratiques conformes aux données actuelles de la science durant l’accouchement et le respect des droits humains des femmes enceintes. En France, le débat a d’abord été soulevé par les réseaux sociaux et les forums en 2014, entraînant de nombreux témoignages de patientes. Le terme de « violences obstétricales » est apparu notamment suite à la publication d’un article de la chroniqueuse Isabelle Alonso, qui a relayé sur son blog un article de la romancière et sage-femme Agnès Ledig, intitulé « Le “point du mari” » . Le 20 juillet 2017, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa commande un rapport au Haut Conseil à l’égalité sur les violences obstétricales pour « objectiver le phénomène » et « identifier des leviers pour améliorer la situation ». En 2018, l’Académie nationale de médecine propose de remplacer le terme « violences obstétricales » par le qualificatif de « comportements inappropriés ». Elle catégorise sept types de comportements inappropriés permettant d’identifier les principaux motifs d’insatisfaction exprimés par les mères en maternité.Suite à ce rapport, une étude transversale en population, l’étude EVA (Étude du vécu autour de votre accouchement), a été menée pendant une semaine en septembre 2018 dans 25 maternités françaises (réseau Aurore). Cette étude comportait deux volets. Le premier avait pour objectif d’estimer la proportion de mères insatisfaites du comportement des soignants. Le second volet, qui est l’objet du sujet de cet article, avait pour objectif d’identifier les contextes liés à l’expression de cette insatisfaction. Pour cela, nous avons conduit une étude observationnelle contrôlée (groupe témoin sélectionné sur score de propension) visant à déterminer quels étaient les éléments de la prise en charge susceptibles d’influencer le vécu de l’accouchement. Cette analyse qualitative a été menée grâce à la méthode de l’évocation hiérarchisée. Cette méthode consistait à recueillir le vécu des femmes lors de leur accouchement à l’aide d’une évocation introduite par la phrase inductrice : « Pendant le temps passé en salle de naissance, comment avez-vous ressenti et vécu les gestes, les actes, les paroles, les attitudes, etc. des médecins, des sages-femmes, de l’équipe ? ». Les femmes étaient alors invitées à écrire librement les mots ou expressions (appelés verbatims par la suite) qui leur venaient à l’esprit, en les numérotant selon l’ordre d’écriture. Elles précisaient ensuite la polarité de chaque verbatim écrit par un symbole +, – ou n, selon leur ressenti positif, négatif ou neutre. Elles pouvaient ensuite construire des réseaux d’associations en reliant entre eux les verbatims recueillis. Enfin, elles classaient ces verbatims selon l’ordre d’importance dans leur ressenti. Ces verbatims ont été regroupés en sous-thèmes. Le critère de jugement principal était la proportion de mères ayant cité au moins un verbatim appartenant à un sous-thème.Parmi les 803 patientes qui ont accouché dans les 25 maternités du réseau Aurore durant la semaine de l’étude, 144 ont refusé de participer à l’étude et 17 ne remplissaient pas les critères d’inclusion. Au total 642 mères ont été incluses dans l’étude EVA dont 628 qui ont accepté de remplir le questionnaire de satisfaction et de répondre à l’évocation hiérarchisée. Parmi elles, 89 % (571/642) se sont déclarées satisfaites du comportement des soignants en salle de naissance. Les mères qui s’étaient déclarées insatisfaites constituaient le groupe de cas (71/642, 11 %). Le groupe sélectionné de patientes témoins satisfaites comprenait 144 mères. Au total, 1 709 verbatims ont été recueillis, puis classés dans 17 sous-thèmes. Pour deux de ces sous-thèmes, une différence significative entre les deux groupes a été mise en évidence. Les mères insatisfaites étaient significativement deux fois plus nombreuses à avoir cité un verbatim classé dans le sous-thème de la peur par rapport à celles du groupe témoin « satisfaites » (respectivement 30/71 [42 %] versus 31/144 (22 %), p = 0,02). Il en était de même avec le sous-thème « sensations corporelles négatives (hors douleur) » avec 14 % des mères (10/71) du groupe cas, qui avaient écrit un verbatim classé dans ce sous-thème, versus 2 % dans le groupe témoin (3/144 ; p = 0,01). Les autres sous-thèmes identifiés : douleur, encouragements, ambiance, ressenti temporel, actes, émotions négatives, partage d’information, émotions positives, matériel/lieux, faits, sensations corporelles positives, bébé, professionnels, père et fatigue ne montraient pas de différence significative entre les deux groupes.En conclusion, les mères insatisfaites de la prise en charge lors de leur accouchement semblaient rapporter davantage de ressentis en lien avec la peur et des sensations corporelles négatives (hors douleur). Compte tenu des connaissances actuelles sur les conséquences du vécu de l’accouchement en termes de risque de syndrome dépressif, voire d’état de stress post-traumatique, les soignants en salle de naissance doivent être particulièrement attentifs et prendre en considération ces notions de peur et de sensations corporelles négatives parfois banalisées. Les implications pratiques de ces résultats en période pre-, per- et post-partum seront développées dans un prochain article.